- MORAVES (FRÈRES)
- MORAVES (FRÈRES)Les frères moraves sont une secte religieuse originaire de Bohême, qu’il serait plus juste d’appeler «frères tchèques» ou, encore, «Unité des frères de la loi du Christ» pour traduire exactement leur nom. En 1457 ou 1458, en marge de l’Église utraquiste, des hussites modérés aux prises avec la papauté – une communauté de petites gens, paysans et artisans – font retraite à Kunvald, près de face="EU Caron" ォamberk, domaine des Pod face="EU Caron" ガbrad, afin d’y vivre selon les préceptes de Pierre Chel face="EU Caron" カický (1390?-1460?), dont l’œuvre a été écrite en tchèque entre 1420 et 1440 (Le Filet de la vraie foi ). Hobereau, originaire de la Bohême méridionale, comme Jan Hus dont il fut un disciple, Chel face="EU Caron" カický se place dans la tradition hussite, condamnant la seigneurie et le servage au nom de l’égalité et de la justice sociale, exigeant une application rigoureuse des lois évangéliques; mais, à la différence des hussites, il n’est pas un révolté: tout recours à la force et à la violence est pour lui péché. Résigné à l’opposition irréductible entre le monde et le christianisme, le chrétien doit vivre hors de ce monde, demeurant un hôte et un étranger ici-bas; il doit pratiquer la tolérance et ne désespérer de personne. Une telle doctrine convenait parfaitement à la lassitude et à la résignation des masses épuisées et désabusées par la défaite hussite.Ralliée au protestantisme, cette communauté a joué, après sa dispersion au XVIIe siècle, un rôle culturel qui l’a quelque peu éloignée de ses origines paysannes, mais lui a valu un grand prestige dans les nombreuses régions du monde où son influence s’exerce encore, notamment par l’intermédiaire de ses missionnaires inlassables.De la Bohême à la Pologne (XVe-XVIIe s.)Sous la direction d’un ancien moine, Grégoire († 1474), la communauté de Kunvald établit une règle de vie très austère: les frères renoncent à la propriété personnelle et, selon l’enseignement de Chel face="EU Caron" カický, ils prennent soin de «s’abstenir du serment, de s’écarter de tout office public, de tout commerce» et autres «occupations pécheresses». Le travail manuel seul est pur et noble à leurs yeux. S’éloignant des dogmes et des rites catholiques, ils inquiètent les utraquistes qui n’ont pas renoncé à désarmer l’hostilité de Rome. En 1467, la rupture est consommée: la communauté élit ses prêtres et son premier évêque, Mathias, qu’un Vaudois ordonne. L’Unité constitue désormais une Église indépendante. Elle profite de la rapide décadence morale de l’utraquisme après la mort de Rokycana (1471). L’adhésion de nombreux bourgeois et d’une partie de la noblesse lui impose une certaine ouverture au monde. Grâce à Luc de Prague, qui est son principal théologien, le synode de Chlumec (1496) admet le serment, le négoce et l’exercice des fonctions publiques; il tolère la propriété. Devenu évêque de l’Unité, Luc la préserve de la tentation luthérienne.Dès 1460, les frères sont persécutés par la société qu’ils n’ont su admettre. Georges de Pod face="EU Caron" ガbrady, le «roi hussite», et, à plus forte raison, les Habsbourg très catholiques s’inquiètent du caractère antisocial et anarchiste de leur doctrine. Mis hors la loi en 1508, les frères sont désormais sous la menace permanente du bannissement. En fait, les vagues de persécution (1460, 1467-1471, 1508-1516, 1548) renforcent «l’Église martyre», exaltent le patriotisme de ses membres et permettent la diffusion de leurs idées en déplaçant leurs centres de la Bohême (Litomyšl, Mladá Boleslav) vers la Moravie (Fulnek et surtout Králice), puis vers la Grande-Pologne où les accueillent des magnats hostiles à Rome, comme les Leszczy ski, à Leszno-Pozna . Après la défaite de la Montagne-Blanche (1620), les frères enterrent le calice dans la «prairie des roses rouges» et partent pour l’exil (1624-1627).Des musiciens et des pédagoguesL’austère humilité de l’Unité primitive a entretenu chez ses membres une certaine méfiance à l’égard des sciences. La Renaissance fut pour eux un scandale de luxe et de paganisme. De l’humanisme, ils ont surtout retenu ce «tribunal de la raison» au service d’une connaissance exacte. L’art sera un moyen de rendre le service divin plus beau, ce qui explique l’importance pour eux du chant choral; la littérature sera un instrument d’édification et une arme au service de la foi et de la nation. Ils contribuent donc à la culture nationale en fidèles continuateurs de la tradition plébéienne et patriotique du mouvement hussite.Les frères sont avant tout des pédagogues, et l’Unité voue un soin particulier à sa mission éducatrice. Jusqu’à la dispersion de 1624, ses écoles, multipliées à travers le pays, lui ouvrent une large audience dans le peuple et permettent aux Tchèques de résister aux efforts de la Réforme catholique et de la germanisation. D’exils en exils, les écoles ont essaimé à travers la Pologne jusqu’en Biélorussie et en Ukraine. L’autorité et l’exemple de Jan Blahoslav (1523-1571) furent décisifs pour l’activité scientifique et culturelle des frères. Évêque de l’Unité en 1557, Blahoslav la dota d’une imprimerie à Ivan face="EU Caron" カice et envoya de nombreux frères parachever leurs études près des universités de Wittenberg, de Kœnigsberg et de Bâle; il est l’auteur d’un Recueil de chants évangéliques (1564) et d’une Musique théorique (1569); il donna une traduction du Nouveau Testament et codifia la langue dans une célèbre Grammaire tchèque (1571): il y aura désormais toujours parmi les frères des grammairiens, des compositeurs et des pédagogues. La traduction de la Bible dite de Králice, que les émules de Blahoslav firent paraître en cette ville (1579-1593), demeure le monument le plus achevé de la langue classique tchèque. Cette traduction est si parfaite qu’en 1668 les jésuites de Bohême l’utilisèrent pour établir leur propre édition de l’Écriture. Plus de cent mille cantionnaires sortirent au cours du XVIe siècle des imprimeries de l’Unité. La dispersion forcée n’interrompit en rien cette vitalité culturelle: l’académie de Leszno, fondée en 1557, prit la relève de Králice, lorsque Komenský (Comenius) devint son recteur.La dispersion (XVIIe-XXe s.)Dernier évêque, l’auteur de La Grande Didactique (1657) porta le renom des méthodes pédagogiques de la secte en Angleterre, en Prusse, en Hollande et en Suède durant quarante-deux ans de vie errante. Il voyait, dans l’entente entre les protestants de toutes les confessions, la «voie de la paix» et le salut de la Bohême, et engagea l’Unité dans les tractations illusoires de l’unionisme. Le Testament de l’Unité, mère agonisante (1650) exprime au lendemain du traité de Westphalie son désespoir, mais aussi sa foi en l’avenir du peuple tchèque.Le sac de Leszno (1656) au cours des luttes polono-suédoises fit d’Amsterdam le refuge des archives de l’Unité des frères. Celle-ci, après le premier partage de la Pologne (1772), fut soumise dans la zone prussienne au consistoire de Posen (Pozna ). Supprimée en Prusse en 1817, elle y garda cependant quelques communautés non reconnues. En Bohême et en Moravie même, elle réussit à conserver une existence secrète dans quelques villes. En 1918, l’indépendance nationale et la naissance de la République tchécoslovaque rendirent sa résurrection possible sur le sol natal, sous la forme de l’Église évangélique tchèque des frères (près de 163 paroisses) rattachée à la Confession d’Augsbourg. Pour beaucoup de Tchèques, l’idéal moral et social de T. G. Masaryk puise dans ces traditions, qui ont profondément marqué le pays. Outre cette Église tchèque, les frères gardent des communautés en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis (Moravian Church) et en Amérique du Sud, et maintiennent leur importante activité missionnaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.